lunes, 7 de noviembre de 2011

DIONNET: "GLÉNAT? OUI, MAIS GLÉNAT ESPAGNE" (3)


Antonio Martin fait partie de la génération qui précéda la mienne, celle des Moliterni, Couperie, Luis Gasca, Umberto Eco (qu’est-ce qu’il a pondu sur la bande dessinée à une époque : on aimerait bien voir tout cela un jour réuni), Rinaldo Traini, Claudio Bertieri, ils ont donc une approche différente de la mienne. Le défaut, ils étaient presque tous définitivement nostalgiques. La qualité, ils avaient eu entre les mains des choses que nous ne reverrons peut-être plus jamais.
 Et presque tous avaient dans l’ensemble une belle culture générale, c’était l’époque où tout le monde avait une belle culture générale, et pouvaient relier la bande dessinée aux autres arts.
 Antonio Martin a commis plusieurs livres sur le sujet et celui que vous avez entre les mains était déjà paru dans la Revista de Educacion, mais il a corrigé le texte et a rajouté des chapitres entiers. Ca s’appelle toujours « Apuntes para una historia de los Tebeos ». Le livre est en noir et blanc hélas, mais que cela ne vous empêche pas de l’acquérir si vous parlez l’espagnol.
 Il commence tôt, comme on commençait presque toujours à l’époque avec en gros Gutenberg et la manière dont on commença à imprimer au XIXème siècle des caricatures puis des semblants de bandes dessinées.
 Il faudra qu’on arrête un jour de gloser sur « Les Pionniers du 9ème Art » autour de l’absurde problème des bulles : et il y a un très bel exemple ici, une page parue en 1900 en Espagne qui aurait pu paraître dans « L’Assiette au Beurre », superbe, oui le texte est en-dessous, comme dans « Prince Vaillant », mais oui c’est narratif et oui c’est beaucoup plus moderne en vérité que les bandes dessinées des années 80 rejoignant en gros ce que font l’Association et ses clones.
 Il y parle donc des premières bandes dessinées espagnoles et ne rentre pas dans la querelle oiseuse de savoir qui a inventé la bande dessinée, un jour on le saura peut-être et ce ne sera peut-être pas Wilhelm Busch. Un jour à Saint Malo, j’ai découvert un exemplaire trop cher pour moi du premier livre imprimé : ce n’était pas Gutenberg mais un coréen !
 Et puis il en vient à ce qu’il appelle « la civilisation de l’image » les années 1917 à 1936, ces premiers comics qui ressemblaient encore à « L’Assiette au Beurre » ou à « L’Epatant », « Les Aventures de Charlot » forcément, comme partout, et les dessinateurs qui sont entre Rubino pour l’Italie et Saint-Ogan pour la France, et tout de suite derrière l’arrivée des américains autour de « Mickey » et des inévitables bandes de la King Features Syndicate, Raoul, Gaston et les autres et forcément « Flash Gordon ».
 Et puis il en vient au « temps héroïque de la bande dessinée espagnole » : 1936-1947. Il montre des photos d’enfants de l’époque, ou de gens qui lisent des journaux et l’apparition des grands magazines locaux, et des grandes bandes dessinées inspirés de l’Amérique mais qui désormais sont dûs à des espagnols qui d’abord copient le modèle américain, puis inventent et innovent.
 Et comme en Italie, quand les temps deviendront troublés et troublants (en Italie c’était Fellini qui s’était collé au scénario de « Flash Gordon »), il y aura en Espagne aussi un final assez maladroit de « Flash Gordon ». Ensuite apparaît dans un dessin d’abord un peu illustratif mais extraordinairement brillant, puis de plus en plus réaliste et proche d’ailleurs d’Alex Raymond au début, la famille Blasco dont surtout le grand Jess mais les frères parfois n’ont pas démérités. Et le magnifique magazine « Chicos » où Jesus Blasco nous donne des œuvres qui valent « Flash Gordon » ou « Prince Vaillant ». Tout comme en Argentine et en Espagne, Salinas fera l’équivalent de Hal Foster en aussi bien. Il passe ensuite aux années 1947-1963. Ah ! Cette photo d’une petite fille qui se régale avec plein de bandes dessinées comiques, idiotes comme les aurait aimé Charlie Schlingo, et ces touchantes histoires de super héros en une page comme « El Hombre Atomico » et l’influence des pulps reliant « Doc Savage » et le héros de pulp local, « El Coyote » : la mise en page des couvertures est la même. On aperçoit quelques scouts des années 50, des scouts pas des louveteaux, n’oublions pas que les « louveteaux » furent inspirés par le Mowgli de Kipling, là-bas ils sont déjà sous le contrôle de la phalange et donc de Franco.
 Et puis, on voit surgir quelques maîtres modernes comme le formidable Buylla avec « Diego Valor » qui avait un trait très personnel et qu’on découvrit en France dans « Monde Futur » mais qui hélas fut dévoré au sens propre par sa trop grande production et eut une trop courte carrière.
 Puis vient une grande spécialité espagnole, les histoires romantiques à jolies filles dont vont surgir d’innombrables dessinateurs qui vont envahir le monde, aussi bien l’Amérique, voir Longaron sur « Friday Foster », la belle héroïne noire de comic strips des années 60, l’Angleterre (« la Fleetway ») et qui vont tellement marquer les esprits que dans une de ses ultimes bandes dessinées, sa dernière je crois, une histoire de cœur, Jim Steranko retrouvera leur style floral étrange, mélangeant l’illustration américaine de magazines d’alors et style 1900.
 J’ai bien aimé « Super Hombre » avec sa couverture étrange qui fait penser à la fois aux super héros dégénérés américains des débuts mais aussi à « Super Dupont », et on voit surgir les agences de comics en Espagne avec Toutain qui deviendra patron d’agence et arrêtera de dessiner, le grand Freixas et l’école de Barcelone (Carlos Gimenez et les autres). Grâce à Toutain et à « Selectiones Illustradas », ils iront vers un exil doré, trouvant du travail en Argentine, en Angleterre puis en Amérique, je vous en reparlerai à propos de Fernando Fernandez.
 On voit arriver des comic books à l’identique, en couleurs, non pas comme chez Artima où on les remontait : semblables aux comic books américains, des bandes dessinées italiennes, rhabillées, Franco est encore là, et il y a un magnifique exemple avec « La Panthère Blonde » qui est d’ailleurs plus sexy habillée que nue : charmes de la censure, il s’arrête en gros aux années 60 juste avant que, via Burulan, l’éditeur, puis l’exportation au travers de Toutain, d’une nouvelle génération, puis l’implosion / explosion de la Movida qui fera surgir les suivants, la génération Torres, Mariscal, etc… l’Espagne débarrassée du Franquisme et soudain libérée devient un moment en bande dessinée, une plaque tournante.
 Dans les années 70, il y avait cinq / six grands mensuels de bandes dessinées en France, il y en avait tout autant en Espagne, Madrid et Barcelone se tirant la bourre et les merveilles étaient nombreuses.
 Seuls quelques auteurs demeurent aujourd’hui qu’il faudrait d’ailleurs suivre de près, mais avec des tirages moindres et sortant souvent directement en livres comme le toujours formidable Javier de Juan, quand ils ne sont pas devenus des artistes à plein temps avec un grand « A », comme Mariscal ou Ceesepe.
 Beaucoup se retrouvent dans un merveilleux magazine mensuel italien édité par Bonelli en Italie : Brandon.
 Mais ceci est une autre histoire.

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